Danse gâchée dans l'herbe, que vous avez tourné au Centre Pompidou-Metz, a une dimension assez synthétique. On peut y reconnaître plusieurs
éléments de votre travail : comment ces différents éléments se sont-ils agglomérés au sein du film ?
Boris Charmatz : Ce projet est né à partir de la danseuse Marion Barbeau. C'est autour d'elle que se sont agencées les idées, avec l'envie de réaliser un précipité de danse. J'ai transmis les matériaux de ma pièce Levée des conflits à Marion - comme une base d'improvisation. Elle s'est approprié ces gestes, et César a ajouté ses propres ingrédients
César Vayssié : Lorsque Boris m'a parlé de faire ce film avec Marion Barbeau, je lui ai proposé de le faire de nuit - ce qui était une manière de transformer l'espace : de rendre encore plus ambigu ce terrain vague. J'aimais l'idée d'être assez proche d'elle, de la suivre dans chacun de ses mouvements, d'aller au sol avec elle. C'est souvent ma manière de procéder : d'être moi-même dans un état de tension physique, de danser avec la caméra de manière très instinctive. Par ailleurs, Danse gâchée dans l'herbe forme un véritable diptyque avec Levée. Par rapport à Levée, qui est un film plus aride, Danse gâchée dans l'herbe amène une série d'oppositions entre l'herbe d'un côté et le sol noir et poussiéreux de la Ruhr. Et bien entendu, l'opposition entre le collectif et l'individuel. Face à la foule de corps frénétiques de Levée, je ne pouvais pas avoir une relation singulière avec chaque danseur. Il s'agissait plutôt de sculpter dans la masse. Pour Danse gâchée dans l'herbe, il y a un véritable duo caméra/danse, qui met en valeur la solitude de la danseuse, de nuit, dans un lieu indéterminé, qui représente très bien le projet Terrain.
Boris Charmatz : Le rapport entre le collectif des 24 danseurs de Levée et la solitude de Marion formule un hommage à tout ce que peut un interprète.
Ces deux films sont basés à peu près sur la même chorégraphie, mais Danse gâchée dans l'herbe montre l'appropriation qu'en a fait Marion; c'est
particulièrement perceptible lorsqu'on met ces deux films côte à côte. Dans le film Levée, la pièce Levée des conflits était déjà complètement transformée par son déplacement sur ce site minier - filmée à partir d'un hélicoptère, au milieu d'une tempête de schiste. Chacunde ces films présente une certaine image, une certaine interprétation du matériau inventé pour la pièce Levée des conflits. Cela montre que la chorégraphie est un terrain, un sol = mais ce sont les danseurs et danseuses qui habitent ce terrain, le transforment, lui donnent vie. Je reconnais Levée des conflits dans ces deux films, et en même temps, le travail que je mène avec César est aussi une manière de me déposséder de ces gestes, de les remettre en circulation.
ENTRETIEN AVEC
BORIS CHARMATZ
ET CÉSAR VAYSSIÉ
À l’occasion de l’exposition
LE CHAOS ET LE BROUILLON
au Centre Pompidou Metz
du 26.02 au 05.05.2025